Le roman policier le plus connu d’Agatha Christie est le symbole d’une censure drapée dans les bons sentiments antiracistes à la mode. Malgré des décennies de succès mondial (cent millions d’exemplaires vendus), ce livre ne peut plus être toléré sous son titre d’un autre temps. En 2020, encouragée par le propre arrière-petit-fils de l’écrivain, la société Amazon indique qu’elle retire ce titre de son site. Les éditions du Masque suivent le mouvement et Dix petits Nègres devient Ils étaient Dix.

Cela s’appelle la Culture de l’effacement (Cancel culture) ou La vie d’un noir compte (Black lives matter), au choix, ou les deux réunis, peu importe.

Il est peu probable que dans l’histoire littéraire il y ait beaucoup d’exemples de changement de titre d’un livre plusieurs années après la mort de l’auteur. Mais il est à craindre que nous ne soyons qu’au début d’un processus où la bêtise va devenir reine.

Alors autant élargir le spectre. Il serait maintenant convenable que ledit arrière-petit-fils reprenne le roman et y introduise un peu de diversité. Ce huis-clos entre dix blancs n’est en effet pas convenable.

Accablé par les temps présents, votre serviteur a donc acquis une ancienne édition de Dix petits Nègres et, cinquante après, l’a relu. Ce fut un excellent moment d’autant que les détails de l’intrigue, en particulier le dénouement, étaient enfouis dans les brumes du passé. Le plaisir de la découverte était comme neuf et, en renfermant le livre, on se dit que son succès est décidément bien mérité.

Rappelons tout de même le contenu de l’intrigue. Huit personnes sont invitées par des gens qu’ils ont connus autrefois à passer quelques jours sur l’île au nègre. C’est une île minuscule sur laquelle fut construite une belle maison lorsqu’elle appartenait à un milliardaire. On ne sait pas bien qui en est le propriétaire aujourd’hui mais cela ajoute au charme du mystère. Les huit sont accueillis par un couple qui tient la maison en attendant l’arrivée du propriétaire.

Ils sont donc dix. Dix, comme dans la vieille comptine qui s’affiche au mur de chaque chambre :

Dix petits nègres s’en furent dîner

L’un d’eux but à s’etrangler

N’en resta plus que neuf

Neuf petits nègres se couchèrent à minuit

L’un d’eux à jamais s’endormit

N’en resta plus que huit

La comptine extermine ainsi joyeusement les dix petits nègres.

Nos invités, qui ne se connaissaient pas, sont encore gais le premier soir. Cela ne durera pas.

Méprisez donc les censeurs et courez acheter Dix petits nègres.