Après une sérieuse blessure reçue pendant un assaut, l’auteur (Dartemont dans le texte) explique à la gentille infirmière qui lui demande ce qu’il a fait à la guerre : « Je vais vous dire la grande occupation de la guerre, la seule qui compte : j’ai eu peur. »
Pacifiste convaincu, Gabriel Chevallier a fait presque toute la guerre de 14. Il enrage contre les assauts stupides, les généraux incompétents et la mort de tant d’hommes valeureux qui ne reverront jamais leurs familles.
Il raconte avec talent le froid, la faim, la déchéance des corps mais aussi cette extraordinaire camaraderie des tranchées qui s’entretient par la dérision, la haine des planqués et des galonnés de l’arrière. Ils détestent la guerre, aimeraient eux aussi être au chaud et ne veulent pas mourir. Mais ils luttent, au moins pour « les copains ». « C’est une solidarité de compagnons de chaîne. »
Une attaque doit avoir lieu. En 1917 on sait depuis longtemps ce qu’elles coûtent : « Qu’on me laisse fuir, déshonoré, vil mais fuir, fuir…Suis-je encore moi ? » Et pourtant quelques lignes plus loin : « Les secondes suprêmes avant le saut dans le vide, avant le bûcher.
En avant !
La ligne ondule, les hommes se hissent. Nous répétons le cri : « En avant ! » de toutes nos forces, comme un appel au secours. Nous nous jetons derrière notre cri, dans le sauve-qui-peut de l’attaque.
Debout dans la plaine. »
C’est le caractère unique de cette guerre : des intellectuels aussi peu faits pour se battre que Gabriel Chevallier continuent jusqu’au bout à obéir aux ordres malgré la froide lucidité de ses raisonnements pacifistes. Il admire ces paysans courageux et obstinés, ces petits lieutenants qui aiment leurs hommes et meurent sans protester.
L’amour de la patrie et le sens du devoir chers à Dorgelès et Genevoix sont totalement absents de ce livre. Le prisme est différent même si le talent d’écriture est égal.
C’est pourquoi, ce classique de la littérature de la guerre de 14 en est un complément indispensable.