« La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Elle lui déplut, enfin. Il n’aima pas comment elle était habillée. Une étoffe qu’il n’aurait pas choisie. Il avait des idées sur les étoffes. Une étoffe qu’il avait vue sur plusieurs femmes. Cela lui fit mal augurer de celle-ci qui portait un nom de princesse d’Orient sans avoir l’air de se considérer dans l’obligation d’avoir du goût. »
C’est ainsi que commence ce grand roman, Aurélien.
Bérénice n’est pas une femme qui séduit au premier regard ainsi qu’on vient de le lire. Mais, très vite, Aurélien va tomber amoureux de sa voix, de ses gestes, de sa façon d’être, d’elle enfin. Il la rencontre chez son ami, le cynique Edmond Barbentane avec qui il a vécu plusieurs années dans les tranchées de 14-18.
Aurélien vit de ses rentes, entretient sa paresse et son goût des conquêtes faciles. Sa rencontre avec Bérénice va bouleverser sa vie. Mais la petite provinciale reste sur la réserve. Non seulement elle est mariée, sans passion il est vrai, mais elle comprend mal l’incroyable force de l’amour d’Aurélien.
De cette mise en situation somme toute assez simple, Aragon va bâtir un chef d’œuvre.
Il y a le style tout d’abord, unique en son genre. Proche de Morand par la nervosité des mots et la rapidité des phrases, il se rapproche aussi de Céline, de sa brièveté. On frôle parfois le style parlé, mais dans une langue si impeccable que le lecteur s’en rend à peine compte. Il faut s’arrêter, de temps en temps pour mieux goûter le rythme et le brio du récit.
Mais au-delà, c’est la description du sentiment amoureux qui est étonnante. Du sein de ce monde assez décadent dans lequel Aragon situe une bonne part du roman, l’amour naissant d’Aurélien se développe puis se cristallise, comme aurait dit Stendhal, pour éclater en une passion dévorante. Il y a là de très grands moments de littérature.
Personne n’est obligé d’aimer Aragon, son stalinisme, ses appels aux meurtres (« descendez les flics, camarades »), sa justification du goulag et la liste pourrait être très longue.
L’homme est odieux mais il fut un grand écrivain et Aurélien constitue un voyage littéraire incontournable.