Celui qui veut découvrir Tolstoï mais craint de s’attaquer aux milliers de pages de ses grandes fresques romanesques (Anna Karénine, La Guerre et la Paix, Résurrection) pourra contourner l’obstacle avec Maître et serviteur.
Cette nouvelle de soixante-quinze pages est, de notre point de vue, la plus réussie de toutes. Non seulement l’action y est très prenante et les deux personnages parfaitement campés, mais l’auteur ne verse jamais dans l’atmosphère morbide qu’il affectionne souvent.
Bien sûr Tolstoï est un immense écrivain mais son mysticisme angoissé, son goût de la tragédie et sa fascination de la mort rendent la lecture de certaines nouvelles quelques peu pénibles (La Mort d’Ivan Illitch, Le Diable, Polikouchka) ce qui est bien dommage car le talent est toujours là.
Rien de tel dans Maître et serviteur. Certes la mort rode, on la sent mais dans une atmosphère de froid et de neige où elle finira par être apprivoisée.
Vassili Andréitch Brékhounov est un riche marchand qui ne pense qu’à lui et à son argent. Malgré le mauvais temps, il part en traîneau pour une transaction importante qu’il estime ne pouvoir différer. La perspective de duper un vendeur est plus forte que tout. Il est accompagné de son serviteur, Nikita « le seul des serviteurs de Vassili Andréitch qui ne fût pas ivre ce jour-là« .
Mais que l’on se rassure « Nikita n’était pas ivre ce jour-là car il était un ivrogne, et qu’après avoir vendu pour boire ses bottes et ses vêtements neufs, il avait fait le voeu de ne plus boire. »
Nous sommes bien en Russie et Tolstoï
nous épargne la fable facile du méchant riche et du gentil pauvre, car avec lui personne n’est tout à fait mauvais ni tout à fait bon. C’était un connaisseur de la nature humaine.
L’affrontement de ces deux hommes contre la tempête qui se lève est superbe. Jusqu’au bout le lecteur se demande qui gagnera entre la tempête et les deux hommes.
Un beau moment de littérature.
Disponible dans de nombreuses éditions de poche avec en général d’autres nouvelles.