« Les hommes avaient mis baïonnette au canon. Ils se tenaient debout, immobiles comme des statues, et scrutaient les approches. De temps à autre, à la lueur d’une fusée, je voyais des casques d’acier serrés l’un contre l’autre, les baïonnettes briller, lame contre lame, et sentais en moi la conscience d’être invulnérable. On pouvait nous écraser non pas nous vaincre. »
Les lecteurs de ce blog, qui auront lu Les Croix de Bois ou Ceux de 14, peuvent mesurer la différence de ton avec Orages d’acier à ce seul passage.
D’un côté nous avons Dorgelès et Genevoix, le journaliste et le normalien, qui partent faire la guerre par devoir. Devoir qu’ils accompliront admirablement mais sans joie, avec, au fond, une immense tristesse devant le grand massacre.
En face, il y a Ernst Jünger, engagé volontaire, couvert de décorations lui aussi, mais pour qui la guerre permet une sorte d’accomplissement de soi. Certes, le combattant est souvent broyé par la puissance matérielle, et la guerre à cheval aurait mieux convenu à ce guerrier. Mais la guerre, qu’il appellera « sa mère » dans un autre ouvrage, engendre le courage, le sacrifice, le héros. Elle a donc sa beauté, presque sa nécessité.
Pendant toute la guerre, Jünger a tenu un journal qu’il a mis en forme dès 1920. Il le remaniera souvent ensuite pour le compléter et l’améliorer. Nous le suivons durant plusieurs années, face aux Anglais la plupart du temps. Volontaire pour tous les coups de main, il n’a aucun état d’âme et ses moments de faiblesse sont quasi inexistants. Aucune forfanterie pourtant : un héros pour qui la mort au combat serait un dénouement naturel.
Certains passages sont remarquables, comme ce chapitre intitulé la grande bataille, décrivant la dernière offensive allemande de 1918.
Orages d’acier occupe une place incontournable dans la littérature de la Grande Guerre et son auteur est un personnage hors du commun.
Sept blessures d’Ernst Jünger
tres bon !
J’aimeJ’aime
Commentaire laconique mais qui me touche car venant d’un spécialiste de Jünger.
J’aimeJ’aime
Exceptionnel. Un des plus grands livres qui soit. La guerre comme expérience intérieure (titre d’un autre livre du même Junger)
J’aimeJ’aime
Immense livre, on lira aussi « Le Boqueteau 125″ qui complète, en l’approfondissant, un chapitre d’Orages d’acier .
A propos de Jünger, c’est François Sureau qui a relaté cette histoire, savoureuse à plus d’un titre : Jünger se demandait, sur la fin de sa très longue vie (il est mort à 102 ans) pourquoi le Président Mitterrand tenait absolument à venir le voir. Il a fini par le comprendre. » Nous n’avions pas de conversation très culturelle » dit-il à Sureau; D’après Jünger, Mitterrand était un esprit assez peu cultivé, qui ne connaissait en fait de littérature qu’une partie assez médiocre de la littérature du 19 ème siècle (or on voit dans Orages d’acier la très profonde culture classique de Jünger…) et qui pour le reste était d’une assez grande inculture. Jünger a compris que Mitterrand venait le voir… pour lui demander des secrets d’immortalité ! Il en dévoile la recette : « ma vieillesse est probablement due à deux choses : la première est que je prends un bain tous les matins à la température de l’eau qui coule (ce qui dans la forêt noire doit être très très froid); et deuxième chose, « je lui ai dit que j’avais arrêté toute activité politique à l’âge de 25 ans ». Et Jünger d’indiquer à Sureau, qui en rit encore : « il n’est jamais revenu me voir ».
Enfin j’ajoute qu’à sa mort en 1998, Ernst Jünger était le dernier porteur à titre militaire de la croix « Pour le Mérite », (en français sur la décoration, jusqu’à la fin de la première Guerre mondiale, ce fut la décoration prussienne, puis allemande, la plus prestigieuse); la plus haute distinction militaire allemande qu’il reçu comme Lieutenant, ce qui était rarissime.
Beaucoup attribue sa « protection » vis à vis des nazis, qui ne l’aimaient guère, à cette décoration, qui le rendait quasi intouchable.
F de S
J’aimeJ’aime